DISCUSSION
Nous avons identifié une prévalence significative de la suppression de l’axe HPA chez les enfants prenant des CSI pour le traitement de l’asthme (9,3 %). Dans tous les cas, les enfants recevaient des doses moyennes ou inférieures de CSI (fourchette : 200 μg/jour à 500 μg/jour de fluticasone ou équivalent). De plus, la dose quotidienne de CSI était prédictive de la suppression de l’axe HPA, une augmentation de 250 μg/jour correspondant, approximativement, à une augmentation de 50 % des chances de suppression de l’axe HPA. Il est important de noter qu’aucun autre facteur clinique n’a pu prédire la suppression dans les cas identifiés par rapport aux enfants ayant un axe HPA normal, et qu’il n’y avait pas d’effet statistiquement significatif du type de médicament ou de la durée de la dose. La prévalence estimée de l’asthme chez les enfants canadiens se situe entre 8 % et 15 %, ce qui indique qu’il s’agit d’un problème clinique important pour les médecins qui traitent l’asthme infantile (20).
L’impulsion pour cette revue de la littérature et l’étude subséquente a été la présentation d’un enfant, de notre clinique d’asthme, à la salle d’urgence pendant une maladie intercurrente avec une hypoglycémie significative alors qu’il prenait une dose moyenne de CSI. Les lignes directrices du consensus canadien sur l’asthme pédiatrique de 2004 définissaient les CSI à faible, moyenne et forte dose en termes de diproprionate de béclométhasone chlorofluorocarboné, un médicament qui n’est plus disponible au Canada depuis un certain temps (2). Des lignes directrices consensuelles plus récentes au Canada définissent les catégories de doses en fonction du dipropionate de béclométhasone hydrofluroalcane (HFA) (particules ultrafines) (4). Plus précisément, une dose moyenne pour les enfants de six à 11 ans est de 201 μg/jour à 400 μg/jour de diproprionate de béclométhasone HFA (201 μg/jour à 500 μg/jour de fluticasone). Une dose moyenne pour les enfants de plus de 12 ans est de 251 μg/jour à 500 μg/jour de dipropionate de bécométhasone HFA (équivalent pour la fluticasone). Les directives internationales reflètent ce système de classification (1).
Une revue de la littérature a identifié une seule étude publiée qui a mesuré la prévalence de la suppression de l’axe HPA chez les enfants traités par CSI (15). Neuf des 26 enfants (35 %) présentaient une suppression identifiée par le test de référence à la métyrapone. Contrairement à l’étude actuelle, seule l’utilisation du budésonide a été étudiée et aucun effet de la dose actuelle de CSI n’a été trouvé. De même, la dose cumulée de CSI ne permettait pas de prédire la suppression de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, mais elle s’est avérée statistiquement significative lorsqu’elle a été associée à la dose de stéroïdes nasaux/m2. Bien que nous n’ayons pas trouvé d’effet de l’utilisation concomitante de stéroïdes nasaux, c’est un facteur important lorsqu’on considère la dose totale de stéroïdes chez les enfants asthmatiques. De plus, nous avons identifié une prévalence légèrement inférieure (9,3 %) sur une gamme de types de CSI, et des études plus importantes sont nécessaires pour obtenir une estimation plus précise. Il n’est peut-être pas surprenant que nous n’ayons pas trouvé de suppression chez les enfants utilisant le budésonide, car seuls quatre enfants de notre échantillon le prenaient.
La littérature disponible sur l’utilisation des tests basaux de la fonction surrénalienne et des tests dynamiques de la fonction de l’axe HPA a été revue en profondeur par Zöllner (16). Les tests basaux de la fonction surrénalienne (y compris le cortisol plasmatique, salivaire et urinaire) ne permettent pas d’identifier les enfants qui ne peuvent pas répondre adéquatement au stress, mais peuvent être utilisés pour le dépistage. Parmi les tests dynamiques disponibles de la fonction de l’axe HPA, le test au métyrapone et le test de tolérance à l’insuline peuvent être considérés comme des références (16). Cependant, le premier n’est pas disponible dans la plupart des endroits et le second est rarement utilisé en raison de rapports de décès résultant du test (21). De plus, le test de tolérance à l’insuline est contre-indiqué chez les patients épileptiques et cardiaques, et chez les enfants de moins de cinq ans (22). Le test de stimulation à l’ACTH est un bon test alternatif de la capacité fonctionnelle des surrénales. Il est important de noter que la dose conventionnelle de 250 μg est considérée comme supraphysiologique (7) et pourrait entraîner des résultats faussement négatifs. Par conséquent, le test à faible dose a été choisi, ce qui pourrait être plus sensible pour détecter une suppression légère ou évolutive de l’axe HPA (23).
Après le début de l’étude, une petite étude pilote (n=26) a identifié le test sérique matinal de l’ACTH comme un test de dépistage potentiel de la suppression de l’axe HPA (24). Cependant, l’ACTH a une demi-vie courte qui nécessite un protocole strict pour le test. Les auteurs concèdent que ce test ne serait utile que dans les grands centres disposant sur place d’installations familières avec les protocoles de prélèvement et de traitement. Bien que le taux de cortisol sérique matinal n’ait pas été recommandé à des fins de dépistage, il est faiblement corrélé à la suppression de l’axe HPA détectée par le test de référence à la métyrapone (r=0,33, P=0,10)(24). Le test de cortisol sérique du matin est facilement accessible à la plupart des cliniciens au Canada. La spécificité du test est élevée (près de 100 % lorsqu’un seuil de 83 nmol/L est utilisé) ; cependant, la sensibilité est faible (environ 60 %) et les résultats sont sujets à des variations physiologiques et pathologiques (14,16). Nous avons utilisé le taux de cortisol sérique matinal pour identifier les enfants présentant une suppression potentielle de l’axe HPA et, pour cette raison, nous avons peut-être manqué des enfants présentant une suppression. Le test de stimulation de l’ACTH à faible dose est un test de suivi approprié aux tests de dépistage de la suppression. Il est également disponible dans la plupart des centres d’asthme pédiatrique au Canada et présente une sensibilité élevée pour détecter la suppression de l’axe HHS (environ 90 %) (14). Il est important de noter que la spécificité de ce test varie dans la littérature : de 58 % dans une étude récente (25) à environ 90 % (14), et la possibilité de faux positifs ne peut être exclue. Quoi qu’il en soit, la mesure du taux de cortisol sérique matinal augmente la probabilité de prétest chez les patients, et combinés, les deux tests représentent une approche pratique.
Une autre étude de la littérature a interrogé des pédiatres et endocrinologues du Royaume-Uni enregistrant des cas de crise surrénalienne (12). Les auteurs ont signalé un taux d’occurrence de 4,7 % de crise surrénalienne confirmée par un test dynamique de l’axe HPA. Contrairement à l’étude actuelle, les cas étaient associés à des doses élevées de CSI (de 500 μg/jour à 2000 μg/jour de fluticasone ou équivalent de dose). Les lignes directrices européennes actuelles recommandent le dépistage des enfants recevant ≥400 μg/jour de fluticasone ou équivalent (26). Une directive nord-américaine plus récente recommande d’envisager un dépistage chez les enfants recevant ≥500 μg/jour de fluticasone, présentant tout symptôme quelle que soit la dose de CSI, sous corticostéroïde oral pendant plus de deux semaines consécutives, les enfants ayant reçu plusieurs cures de corticoïdes oraux pendant plus de trois semaines au cours des six mois précédents et les enfants sous CSI à forte dose (14). Les résultats de la présente étude appuient ces lignes directrices et ajoutent la considération de dépister ceux qui reçoivent des doses moyennes, quels que soient les symptômes.
Tous les efforts doivent être faits pour réduire la dose de CSI à la plus faible dose efficace permettant d’obtenir un contrôle des symptômes de l’asthme. L’utilisation d’un bêta-agoniste à longue durée d’action combiné aux CSI n’a pas été associée à la survenue d’une suppression de l’axe HPA dans la présente étude, et il est possible qu’une dose efficace plus faible puisse être obtenue avec son utilisation concomitante. Les CSI à faible dose doivent être utilisés comme doses de départ, et les directives canadiennes actuelles préconisent l’utilisation d’un traitement d’appoint plutôt que d’augmenter la dose de CSI au-delà de 250 μg/jour de fluticasone ou équivalent et certainement au-delà de 500 μg/jour (4). De plus, nous avons trouvé une tendance non significative avec la fluticasone vers la suppression de l’axe HPA. Ce résultat est inquiétant compte tenu du pourcentage élevé d’utilisation de la fluticasone dans la pratique et pourrait être dû à la lipophilie accrue et à la grande taille des particules de ce médicament par rapport aux autres composés disponibles (27,28). Cette constatation doit être étudiée dans de futures études de plus grande envergure.
Un rapport de cas précédent a identifié quatre enfants présentant une suppression surrénalienne secondaire à la fluticasone ICS, qui s’est améliorée lors du passage au ciclésonide (29). Pour cette raison, le ciclésonide a été recommandé dans cette situation (14,29). Bien que les rapports sur les effets secondaires du ciclésonide soient absents de la littérature actuelle, deux enfants de notre étude ont présenté une suppression de l’axe HPA avec le ciclésonide, ce qui représente les premiers cas décrits. Par conséquent, bien que le ciclésonide puisse être bénéfique en réponse à la suppression de l’axe HPA, des recherches supplémentaires sont probablement nécessaires sur son rôle exact dans le traitement.
La présente étude comportait plusieurs limites. Premièrement, bien que la durée de la dose de CSI ait été enregistrée, la durée totale du traitement par CSI depuis le diagnostic n’était pas connue. Par conséquent, un effet cumulatif de l’utilisation des CSI pourrait être présent dans notre échantillon malgré nos critères d’inclusion (au moins trois mois de dosage stable et l’absence d’utilisation de stéroïdes oraux au cours des trois mois précédents). Bien que l’utilisation de stéroïdes oraux puisse avoir des effets durables sur l’axe HPA (jusqu’à un an) (30), ce critère d’exclusion n’a pas été appliqué car il aurait limité la taille de l’échantillon et aurait prolongé la période de recrutement de la présente étude. Toutefois, ce facteur a été examiné à la fin de l’étude (tableau 3). Deuxièmement, la sévérité de l’asthme n’a pas été mesurée chez chaque patient. Cependant, un audit précédent de notre centre a identifié que la majorité des enfants souffraient d’un asthme persistant modéré (1,17). En outre, 96 % des patients de l’audit ont été traités conformément aux directives publiées par la Global Initiative for Asthma (GINA) (1), ce qui indique une bonne adhésion générale au centre. Par conséquent, les résultats sont le plus souvent le reflet d’un centre secondaire d’aiguillage uniquement, incluant des patients souffrant d’asthme auparavant ingérable ou difficile à gérer par les médecins de famille. Troisièmement, le test du taux de cortisol sérique matinal est peu sensible et des valeurs normales n’excluent pas une suppression de l’axe HPA. Par conséquent, la prévalence peut être une estimation prudente car un plus grand nombre d’enfants pourraient avoir des tests de stimulation de l’ACTH anormaux, tout en ayant des niveaux de cortisol sérique matinal dans la plage normale. Les futures études de plus grande envergure devraient tenter de réaliser des tests dynamiques de l’axe HPA sur tous les participants à l’étude.