La passion de Madame Curie

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Lorsque Marie Curie arrive pour la première fois aux États-Unis, en mai 1921, elle a déjà découvert les éléments radium et polonium, inventé le terme « radioactif » et remporté le prix Nobel – deux fois. Mais la scientifique d’origine polonaise, d’une timidité presque pathologique et habituée à passer le plus clair de son temps dans son laboratoire parisien, fut stupéfaite par la fanfare qui l’accueillit.

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Elle assista à un déjeuner le premier jour chez Mme Andrew Carnegie avant des réceptions au Waldorf Astoria et au Carnegie Hall. Elle apparaîtra plus tard au Musée américain d’histoire naturelle, où une exposition commémore sa découverte du radium. L’American Chemical Society, le New York Mineralogical Club, des centres de recherche sur le cancer et le Bureau des mines organisent des événements en son honneur. Plus tard dans la semaine, 2 000 étudiants du Smith College ont chanté les louanges de Curie lors d’un concert choral avant de lui décerner un diplôme honorifique. Des dizaines d’autres collèges et universités, dont Yale, Wellesley et l’Université de Chicago, lui ont conféré des distinctions.

L’événement phare de sa tournée américaine de six semaines s’est tenu dans la salle Est de la Maison Blanche. Le président Warren Harding s’est longuement exprimé, louant ses « grandes réalisations dans les domaines de la science et de l’intellect » et affirmant qu’elle représentait le meilleur de la féminité. « Nous déposons à vos pieds le témoignage de cet amour que toutes les générations d’hommes ont eu l’habitude d’accorder à la femme noble, à l’épouse désintéressée, à la mère dévouée. »

C’était une chose plutôt étrange à dire à la scientifique la plus décorée de cette époque, mais là encore, Marie Curie n’a jamais été facile à comprendre ou à catégoriser. C’était parce qu’elle était une pionnière, une aberrante, unique par la nouveauté et l’immensité de ses réalisations. Mais c’est aussi à cause de son sexe. Curie a travaillé pendant une grande période d’innovation, mais les femmes de son époque étaient considérées comme trop sentimentales pour pratiquer une science objective. Elle sera toujours considérée comme un peu étrange, pas seulement comme une grande scientifique, mais comme une grande femme scientifique. On ne s’attendrait pas à ce que le président des États-Unis fasse l’éloge d’un homme contemporain de Curie en attirant l’attention sur sa virilité et son dévouement en tant que père. La science professionnelle, jusqu’à une époque assez récente, était un monde d’hommes, et à l’époque de Curie, il était rare qu’une femme participe même à la physique académique, et encore moins qu’elle en triomphe.

Cette année marque le 100e anniversaire de son deuxième prix Nobel, la première fois que quelqu’un a réussi un tel exploit. En son honneur, les Nations unies ont fait de 2011 l’Année internationale de la chimie. Curie a toujours été un personnage fascinant, sujet de livres, de pièces de théâtre et de films, et cet anniversaire a donné lieu à plusieurs nouveaux ouvrages sur elle. Octobre est la saison des prix Nobel, c’est donc un bon moment pour examiner l’histoire de son histoire – comment elle a vécu, mais aussi comment elle a été mythifiée et incomprise.

Curie est née Manya Sklodowska en novembre 1867 à Varsovie, en Pologne, et y a été élevée pendant une occupation russe. Sa mère est morte de la tuberculose lorsque Marie avait 10 ans. Prodige en littérature et en mathématiques, Marie a fréquenté, à l’adolescence, une école secrète appelée « Université flottante » – dont le lieu changeait régulièrement pour éviter d’être repéré par les Russes – où l’on enseignait la physique et l’histoire naturelle ainsi que les sujets interdits de l’histoire et de la culture polonaises. Son père, professeur de sciences, encourage la curiosité de sa fille mais n’a pas les moyens de l’envoyer à l’université. Marie a travaillé comme gouvernante jusqu’à ce que, à 24 ans, elle ait économisé suffisamment d’argent et acheté un billet de train pour Paris, où elle a gravité dans le Quartier latin et s’est inscrite à la Sorbonne.

Elle s’est plongée dans le français et les mathématiques et a gagné sa vie en nettoyant la verrerie dans les laboratoires universitaires. Elle a rationné sa consommation de nourriture jusqu’à ce que, plus d’une fois, elle s’effondre de faiblesse. La science la passionne, et elle obtient un diplôme de physique en 1893 et un autre de mathématiques l’année suivante.

En 1894, elle rencontre Pierre Curie, un physicien de 35 ans dans un collège technique français qui avait étudié les cristaux et le magnétisme. Plus de dix ans auparavant, lui et son frère Jacques avaient découvert la piézoélectricité, la charge électrique produite dans les matériaux solides sous pression. Pierre est séduit par l’intelligence et le dynamisme hors du commun de Marie, et il la demande en mariage. « Ce serait… une belle chose, écrit-il, de traverser la vie ensemble hypnotisés par nos rêves : ton rêve pour ton pays ; notre rêve pour l’humanité ; notre rêve pour la science. »

Ils se marient en 1895 lors d’un service civil auquel assistent la famille et quelques amis. Pour l’occasion, Marie a revêtu une robe de coton bleu, assez pratique pour être portée dans le laboratoire après la cérémonie. Dès lors, elle et Pierre suivent ce qu’ils appellent une voie « anti-naturelle » qui inclut un « renoncement aux plaisirs de la vie ». Ils vivent sobrement dans leur appartement de la rue de la Glacière, à quelques pas de leurs expériences. Pierre gagnait un modeste 6 000 francs par an, soit environ 30 000 dollars aujourd’hui, tandis que Marie travaillait gratuitement dans son laboratoire et préparait un examen qui la certifierait pour enseigner aux filles.

La première fille des Curie, Irène, est née en 1897. Une grossesse difficile avait contraint Marie à passer moins de temps au laboratoire au moment même où elle rassemblait des données pour une thèse de doctorat. Lorsque sa belle-mère meurt quelques semaines après la naissance d’Irène, son beau-père, Eugène, un médecin à la retraite, prend la relève, devenant le parent pratique que les autres attendaient de Marie.

Lorsque sa deuxième fille, Eve, naît en 1904, Marie s’est habituée au mépris de ses collègues qui pensent qu’elle passe trop de temps au laboratoire et pas assez à la crèche. Georges Sagnac, un ami et collaborateur, finit par la confronter. « N’aimes-tu pas Irène ? » lui demande-t-il. « Il me semble que je ne préférerais pas l’idée de lire un article de Rutherford, plutôt que d’obtenir ce dont mon corps a besoin et de m’occuper d’une petite fille aussi agréable. »

Mais elle a lu des publications scientifiques. Dans les laboratoires d’Europe, les scientifiques étudient des phénomènes nouveaux et surprenants. En 1895, Wilhelm Röntgen avait découvert les rayons X, et le mathématicien Henri Poincaré cherchait à comprendre les rayons luminescents qui pouvaient traverser une main et imprimer une image fantomatique sur du papier photographique. Henri Becquerel notait l’émission d’un autre type de rayons mystérieux, ceux des sels d’uranium. J. J. Thomson découvrit des particules chargées négativement, que nous connaissons aujourd’hui sous le nom d’électrons (et dont nous savons maintenant qu’elles sont la source des rayons X).

Curie s’appuya sur les observations de Becquerel concernant l’élément uranium. Au début, elle et d’autres scientifiques étaient déconcertés par la source des émissions à haute énergie. « L’uranium ne présente aucun changement d’état appréciable, aucune transformation chimique visible, il reste, en apparence du moins, le même que toujours, la source de l’énergie qu’il décharge reste indétectable », écrit-elle en 1900. Elle se demandait si les rayons émis violaient une loi fondamentale de la thermodynamique : la conservation de l’énergie.

Enfin, elle posa une hypothèse audacieuse : Les rayons émis pourraient être une propriété fondamentale des atomes d’uranium, que nous savons maintenant être des particules subatomiques libérées lors de la désintégration des atomes. Sa théorie a des implications radicales. Trish Baisden, chimiste principal au Lawrence Livermore National Laboratory, la décrit comme une proposition choquante : « C’était vraiment étonnant et une déclaration audacieuse à l’époque, car l’atome était considéré comme la particule la plus élémentaire, celle qui ne pouvait pas être divisée. Cela signifiait en outre que les atomes n’étaient pas nécessairement stables. » L’hypothèse de Curie allait réviser la compréhension scientifique de la matière à son niveau le plus élémentaire.

Curie entreprit de mesurer l’intensité des rayons de l’uranium en adaptant l’électromètre que Pierre avait inventé avec son frère. Cet appareil lui permit de mesurer des courants électriques extrêmement faibles dans l’air à proximité d’échantillons minéraux contenant de l’uranium. Elle répéta bientôt l’expérience avec du thorium, qui se comportait de manière similaire.

Mais elle fut déconcertée par des données qui montraient que l’intensité des rayonnements émis par l’uranium et le thorium était plus importante que prévu, sur la base des quantités d’éléments qu’elle savait être présentes dans ses échantillons. « Il doit y avoir, ai-je pensé, une substance inconnue, très active, dans ces minéraux », a-t-elle conclu. « Mon mari était d’accord avec moi et j’ai insisté pour que nous recherchions immédiatement cette substance hypothétique, pensant qu’en unissant nos efforts, nous obtiendrions rapidement un résultat. »

En 1898, elle identifie effectivement l’une des substances et la nomme polonium, du nom de sa patrie. Cinq mois plus tard, elle identifie un deuxième élément, que le monde connaîtra sous le nom de radium. Curie décrit les éléments qu’elle étudie comme « radioactifs »

Pierre met ses cristaux de côté pour aider sa femme à isoler ces éléments radioactifs et à étudier leurs propriétés. Marie a extrait des sels de radium purs de la pechblende, un minerai hautement radioactif obtenu dans les mines de Bohème. L’extraction nécessite des tonnes de substance, qu’elle dissout dans des chaudrons d’acide avant d’obtenir du sulfate de baryum et d’autres alcalins, qu’elle purifie ensuite et transforme en chlorures. La séparation du radium des alcalins nécessite des milliers de cristallisations fastidieuses. Mais comme elle l’écrit à son frère en 1894, « on ne s’aperçoit jamais de ce qui a été fait, on ne voit que ce qui reste à faire. » Au bout de quatre ans, Curie avait accumulé à peine assez de radium pur pour remplir un dé à coudre.

Travaillant dans un hangar délabré aux fenêtres cassées et à la ventilation déficiente, elle parvenait néanmoins à effectuer des mesures sensibles. Il est remarquable, selon Baisden, que Curie ait calculé le poids atomique du radium avec autant de précision dans des conditions aussi déplorables. « Les grandes variations de température et d’humidité ont sans aucun doute affecté l’électromètre… mais la patience et la ténacité de Marie ont prévalu. »

Les deux Curie étaient affligées de maux – brûlures et fatigue – qui, rétrospectivement, étaient clairement causés par des expositions répétées à de fortes doses de rayonnement. Toutes deux, également, étaient réfractaires à l’idée que leurs matériaux de recherche étaient la cause de leurs maux.

En 1903, Curie devient la première femme en France à obtenir un doctorat en physique. Les professeurs qui ont examiné sa thèse de doctorat, qui portait sur les rayonnements, ont déclaré qu’il s’agissait de la plus grande contribution unique à la science jamais écrite.

Les rumeurs d’un prix Nobel ont commencé à circuler, mais certains membres de l’Académie des sciences française ont attribué la brillance du travail non pas à Marie, mais à ses collègues. Ces sceptiques commencent à faire pression discrètement pour que le prix soit partagé entre Becquerel et Pierre. Mais Pierre insiste auprès des personnes influentes du comité Nobel pour dire que Marie est à l’origine de leurs recherches, qu’elle a conçu des expériences et généré des théories sur la nature de la radioactivité.

Les deux Curie partagent le prix Nobel de physique avec Becquerel en 1903. C’était le premier Nobel à être attribué à une femme.

Lors de la cérémonie de remise des prix, le président de l’Académie suédoise, qui administre le prix, a cité la Bible dans ses remarques sur les recherches des Curies : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul, je lui ferai une compagne ».

On ne sait pas si Marie Curie a pris cette remarque comme une insulte – elle fait sûrement grincer des dents aujourd’hui – mais elle doit figurer parmi les commentaires les plus rancuniers jamais adressés à un lauréat. De plus, l’idée que Marie était une simple assistante de Pierre – un des mythes les plus persistants à son sujet – était une opinion largement répandue, à en juger par les commentaires publiés et non publiés d’autres scientifiques et observateurs.

« Les erreurs sont notoirement difficiles à tuer », a observé son amie, la physicienne britannique Hertha Ayrton, « mais une erreur qui attribue à un homme ce qui était en fait le travail d’une femme a plus de vies qu’un chat. »

À la Sorbonne, c’est Pierre qui a obtenu le poste le plus important, un poste de professeur titulaire. Marie n’a pas été promue. Pierre a embauché plus d’assistants et a fait de Marie la directrice officielle du laboratoire, la libérant ainsi pour mener des expériences et pour la première fois, être payée pour cela.

La collaboration la plus réussie entre un mari et une femme dans l’histoire de la science se termina soudainement le 19 avril 1906, lorsque Pierre, apparemment perdu dans ses pensées, s’engagea dans la circulation de la rue Dauphine et fut tué sur le coup par une voiture qui fonçait sur lui.

Au lieu d’accepter une pension de veuve, Marie reprit le poste de Pierre à la Sorbonne, devenant la première femme à y enseigner. Des centaines de personnes – étudiants, artistes, photographes, célébrités – font la queue devant l’université le 5 novembre 1906, dans l’espoir d’assister à sa première conférence. Elle ne donne aucun signe extérieur de deuil. Elle commence par résumer les récentes percées de la recherche en physique. « Quand on considère les progrès de la physique au cours de la dernière décennie, dit-elle, on est surpris par les changements qu’ils ont produits dans nos idées sur l’électricité et sur la matière. »

Elle écrit un journal pendant cette période, adressé à son défunt mari, sur la poursuite de leurs recherches. « Je travaille dans le laboratoire toute la journée, c’est tout ce que je peux faire : J’y suis mieux que partout ailleurs », écrit-elle. En 1910, elle publie un traité de 971 pages sur la radioactivité. Cependant, certains hommes de l’establishment scientifique ne la considéraient toujours pas comme une égale. En 1910, elle a demandé à devenir membre de l’Académie des sciences française et, bien que Pierre en ait été membre, sa candidature a été rejetée par deux voix. Un membre de l’Académie, le physicien Emile Amagat, affirmait que « les femmes ne peuvent faire partie de l’Institut de France ».

En 1911, des rumeurs se répandirent selon lesquelles Curie avait une liaison avec l’éminent physicien Paul Langevin, un homme de cinq ans son cadet qui avait été l’élève de Pierre et avait travaillé en étroite collaboration avec Albert Einstein. La femme de Langevin, dont elle s’est séparée, a découvert d’apparentes lettres d’amour de Curie à son mari et les a remises à un journal à sensation. Ce journal et d’autres publications publient des articles avec des titres tels que « Une romance dans un laboratoire ». Bien qu’un veuf dans des circonstances similaires n’aurait probablement pas subi de conséquences, Curie voit sa réputation ternie. Ni Curie ni Langevin ne discutent de leur relation avec des personnes extérieures. « Je crois qu’il n’y a aucun lien entre mon travail scientifique et les faits de la vie privée », écrivit-elle à un critique.

La couverture en première page du scandale menaçait d’éclipser une autre nouvelle plus tard cette année-là : son deuxième prix Nobel.

Celui-ci, en chimie, était pour la découverte du polonium et du radium. Dans son discours de remerciement à Stockholm, elle rendit hommage à son mari mais précisa également que son travail était indépendant du sien, expliquant leurs contributions respectives et décrivant les découvertes qu’elle avait faites après sa mort.

À la fin de 1911, Curie tomba très malade. Elle subit une opération pour enlever les lésions de son utérus et de son rein, suivie d’une longue convalescence. En 1913, elle recommence à voyager et à se consacrer à la science. En mars de la même année, Einstein lui rend une visite prolongée et, plus tard, elle ouvre et dirige un nouveau centre de recherche à Varsovie. Alors qu’elle mettait en place un deuxième institut, à Paris, la Première Guerre mondiale a éclaté. Elle a équipé 18 stations radiologiques portables qui pouvaient traiter les soldats blessés sur le front. Elle faisait parfois fonctionner et réparer les machines elle-même, et a établi 200 autres postes de radiographie permanents pendant la guerre.

Eve est devenue journaliste et a écrit la biographie définitive, Madame Curie, publiée en 1937. Irène étudia à l’institut de sa mère à Paris et épousa l’assistant de celle-ci, le charismatique physicien Frédéric Joliot, avec qui elle eut deux enfants. Irène reste très présente dans le laboratoire et, en 1935, Irène et Frédéric Joliot-Curie reçoivent le prix Nobel pour la synthèse de nouveaux éléments radioactifs. C’est un autre record : c’est la première fois qu’un parent et un enfant remportent séparément le prix Nobel.

Après le deuxième prix Nobel de Marie Curie et ses recherches ultérieures, elle est rarement considérée comme une assistante. Et une fois que les tabloïds ont tourné la page sur le scandale Langevin, son image de briseuse de ménage s’est estompée. Mais des efforts délibérés ont été déployés pour façonner son histoire. Un exemple en est le premier voyage de Curie en Amérique, en 1921.

La tournée était en grande partie l’œuvre d’une journaliste de New York nommée Missy Meloney, qui avait interviewé Curie en 1920 à Paris pour le magazine féminin the Delineator, que Meloney éditait. Meloney a appris que les Curie n’avaient jamais breveté le procédé de purification du radium. Par conséquent, d’autres scientifiques et des entreprises chimiques américaines traitaient le radium, puis le vendaient pour le traitement du cancer et la recherche militaire au prix de 100 000 dollars le gramme. Curie n’a plus les moyens de se procurer l’élément qu’elle a découvert. Détectant une histoire d’intérêt humain, Meloney a créé le Marie Curie Radium Fund pour collecter des fonds afin d’acheter du radium pour la poursuite des recherches de Curie.

Les femmes américaines seraient inspirées à donner à Curie, Meloney a pensé, seulement si son image de scientifique – qui stéréotypée suggérait quelqu’un de dépassionné, voire sévère – pouvait être adoucie. Les articles de Meloney présentaient donc Curie comme une guérisseuse bienveillante, décidée à utiliser le radium pour traiter le cancer. Meloney a également persuadé ses amis rédacteurs en chef d’autres journaux et magazines de mettre en avant la même image. Curie comprenait que le radium pouvait être utile en clinique, mais elle n’avait aucun rôle direct dans son utilisation pour des traitements médicaux. Néanmoins, la motivation de Curie pour découvrir le radium, selon un titre du Delineator, était « Que des millions ne meurent pas ». Les écrivains l’ont décrite comme la « Jeanne d’Arc du laboratoire », avec un visage de « souffrance et de patience ».

Curie désapprouvait la campagne publicitaire. Dans ses conférences, elle rappelait à son public que sa découverte du radium était l’œuvre « de la science pure… faite pour elle-même » plutôt qu’en vue d’une « utilité directe ».

Et pourtant, les efforts de Meloney ont réussi : Elle a récolté plus de 100 000 dollars au nom de Curie en quelques mois, assez pour acheter un gramme de radium pour l’Institut Curie à Paris. Meloney a invité Curie aux États-Unis.

Curie, qui n’aimait pas les voyages et l’attention, a accepté de venir pour remercier Meloney et ceux qui avaient contribué à la cause. Mais, écrit-elle à Meloney, « vous savez combien je suis attentive à éviter toute publicité faisant référence à mon nom. Et combien je vous serais reconnaissante d’organiser mon voyage avec le minimum de publicité. »

Curie s’embarque avec Irène, 23 ans, et Eve, 16 ans, et quelques heures après avoir débarqué à New York s’embarque dans une tournée éclair qui l’emmène aussi loin à l’ouest que le Grand Canyon. Au fil du temps, Curie s’épuise et demande à annuler des événements, ou du moins à ne pas y prendre la parole. Elle semble distante et refuse parfois de serrer la main de ses admirateurs. Elle n’a pas l’air d’être la gentille figure maternelle que Meloney a fait passer pour elle. Il est clair que la force et la patience de Curie sont à bout.

Elle ramène le gramme de radium à Paris dans une fiole que lui remet le président Harding à la Maison Blanche. Elle travailla dans son laboratoire jusqu’à sa mort.

Lorsque Curie mourut, à 66 ans, en 1934, les journalistes se firent l’écho de l’image popularisée par Meloney. Le New York Times la qualifie de « martyre de la science » qui a « contribué davantage au bien-être général de l’humanité » en tant que « femme modeste et effacée. » Le physicien Robert Millikan, président de l’Institut de technologie de Californie, a publié une déclaration publique : « Malgré son absorption continue dans son travail scientifique, elle a consacré beaucoup de temps à la cause de la paix….Elle incarnait dans sa personne toutes les vertus plus simples, plus familiales et pourtant les plus parfaites de la féminité. »

Dans les années qui ont suivi sa mort, les scientifiques, les historiens, les artistes et d’autres personnes se sont débattus avec son histoire, soulignant souvent des qualités ou lui imputant des traits qui reflétaient les valeurs sociales contemporaines plus que des vérités biographiques. Le portrait de Curie dans les livres et les films a eu tendance à mettre l’accent sur ses rôles d’épouse, de mère et d’humanitaire, au détriment de son importance en tant que brillante physicienne. Le film Madame Curie (1943) de la MGM mettait en scène Greer Garson dans le rôle d’une épouse dévouée plutôt que dans celui d’une scientifique indépendante et parfois piquante.

Avec le mouvement des femmes des années 1960 et 1970, la réputation de Curie en tant que scientifique remarquable est passée au premier plan. La physicienne Rosalyn Yalow, dans un essai qu’elle a écrit au moment de recevoir son propre prix Nobel en 1977 pour des recherches sur les composés radioactifs, a déclaré que Curie était son inspiration. Les biographes ont tenté de dépeindre l’intelligence et la complexité de ce personnage hors du commun. Une nouvelle pièce de théâtre, Radiance, écrite par l’acteur et réalisateur Alan Alda, se concentre sur les relations de Curie avec Pierre et Langevin ainsi que sur sa science. Un nouveau roman graphique, Radioactive : Marie & Pierre Curie : A Tale of Love and Fallout de Lauren Redniss, examine la vie de Curie dans le contexte de l’impact de la radioactivité sur l’histoire. Il a une couverture phosphorescente.

Il a fallu un siècle, mais nous pouvons enfin l’apprécier comme une femme aux multiples facettes d’une intensité, d’une intelligence et d’une volonté hors du commun – une femme de courage, de conviction et oui, de contradictions. Après un siècle, nous ne la voyons pas comme une caricature, mais comme l’une des scientifiques les plus importantes du 20ème siècle, qui était, en même temps, indubitablement, rassurante, humaine.

Julie Des Jardins, du Baruch College, a écrit The Madame Curie Complex : The Hidden History of Women in Science.

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