Anne Frank : la véritable histoire de la fille derrière le journal intime

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Albert Gomes de Mesquita est l’une des dernières personnes vivantes à avoir connu Anne Frank en personne. Il apparaît brièvement dans son journal en tant que camarade de classe au Lycée juif d’Amsterdam, où elle écrit à son sujet : « Albert de Mesquita vient de l’école Montessori et a sauté une année. Il est très intelligent. »

Il n’y a rien d’autre. Selon toute vraisemblance, Albert a plus ou moins disparu de sa mémoire, mais pour lui la situation est, inévitablement, très différente.

Au fil des années, ses souvenirs d’Anne sont devenus de plus en plus importants. A 89 ans, il voyage encore à l’étranger pour assister à des conférences sur son travail et sa vie. Anne est devenue une étrange sorte de célébrité et Albert, en tant que personne qui était réellement présente à la fête d’anniversaire au cours de laquelle elle a reçu son journal encore vide, est un point de contact pour cette célébrité.

Le journal d’Anne, qu’elle a tenu pendant un peu plus de deux ans, de son 13e anniversaire le 12 juin 1942 jusqu’au moment du raid nazi sur l’annexe secrète où elle vivait cachée avec sa famille, a été traduit en 60 langues et vendu à plus de 30 millions d’exemplaires. C’est l’un des livres les plus célèbres au monde. J’ai demandé à Albert – qui est l’ancien mari de Lien de Jong (le sujet de mon livre The Cut Out Girl, qui décrit comment Lien a été envoyée chez mes grands-parents, et son traumatisme en tant que l’un des « enfants cachés » des Pays-Bas) – ce qu’il a pensé quand il l’a lu pour la première fois et ce qu’il en pense maintenant. « Ma première réaction, m’a-t-il dit, a été de me dire que j’aurais pu écrire cette histoire moi-même, mais plus tard, j’ai réalisé que ce qui la rendait spéciale ne résidait pas dans les événements qu’elle avait vécus (après tout, j’avais moi-même subi les mêmes choses) mais dans son évolution personnelle. » La famille d’Albert s’est cachée au même moment et de la même manière. Eux aussi furent découverts, mais, contrairement aux Francs, les De Mesquitas eurent une fuite miraculeuse.

Pendant un mois seulement, Anne et Albert furent en contact quotidien. En tant que jeune garçon timide et d’apparence plutôt frêle, il la trouvait un peu intimidante. Une fois, lors d’une leçon de biologie, leur professeur a expliqué qu’un cheval et un âne, mis ensemble dans une étable, pouvaient donner une mule. Albert a levé la main pour demander comment cela se passait, déclenchant l’hilarité de la classe. Par la suite, dans la cour de récréation, c’est Anne qui a été la première à venir vers lui en lui proposant une explication. Il a nerveusement refusé.

Ce qu’Albert dit du journal, qui vient de sortir dans une nouvelle traduction anglaise dans le cadre des Collected Works autorisés, est vrai et important. Le journal intime emmène le lecteur dans un voyage avec son auteur. Pendant le premier mois, avant que la famille ne se cache, c’est l’histoire d’une écolière intelligente et extravertie, qui est presque inconsciente de la menace croissante qui pèse sur les Juifs néerlandais. Au lieu de s’intéresser à la guerre, elle se préoccupe de son propre caractère et de sa réputation. Anne parle avec fierté de la « foule d’admirateurs qui ne peuvent me quitter des yeux et qui doivent parfois utiliser un miroir de poche cassé pour essayer de m’apercevoir dans la classe ». Il y a des descriptions méchantes de ses camarades de classe. Elle raconte comment les professeurs sont exaspérés par son bavardage, ce qui lui vaut une série de punitions intitulées A Chatterbox, puis An Incorrigible Chatterbox, et enfin Quack, quack, quack, said Mistress Chatterback. En réponse à cette dernière commande, Anne écrit un poème comique sur un cygne enragé qui commet des attaques meurtrières sur un groupe de canetons bruyants. En dépit de son meilleur jugement, son professeur admit qu’il était si bon qu’il devait être lu à haute voix à la classe.

L’entrée d’Anne dans le livre d’amitié de sa camarade de classe Dinie, 1940. Photographie : Anne Frank Fonds, Bâle, Suisse

Lorsque cette jeune fille turbulente est soudainement enfermée dans un ensemble de petites pièces aux fenêtres occultées, qu’elle doit partager avec une autre famille qui lui est quasiment étrangère, l’effet sur son « développement personnel » est évident. Elle reste inventive et impertinente, mais la pression de la vie en communauté, mêlée à des moments de terreur à l’état brut lors de quasi-découvertes, fait des ravages. Anne se sent étrangère à sa mère et est irritée par Mme van Pels (la mère de l’autre famille). Elle doit partager la chambre d’un homme d’âge moyen qu’elle finit par détester (elle l’appelle « M. Duffer » en racontant leurs petites disputes silencieuses). Elle tombe amoureuse de Peter van Pels, mais leur relation ne progresse pas. En même temps, elle est consciente des changements de son corps d’adolescente, de ses sentiments sexuels et de ses soudaines sautes d’humeur qui la conduisent à des flots de larmes.

Au milieu de tout cela, au fil des années, Anne lit beaucoup et développe une passion croissante pour l’écriture. Elle compose des nouvelles, des anecdotes comiques, et commence un roman. Plus important encore, après avoir entendu une émission de radio du gouvernement néerlandais sur la nécessité de conserver des archives de l’occupation, Anne commence à réviser son journal au début de 1944 dans l’espoir qu’il soit publié. Elle développe des épisodes clés et en supprime d’autres. Parfois, elle insère également des réflexions sur son moi d’avant.

Ce dialogue entre l’ancienne et la jeune Anne est l’un des nombreux aspects magiques du journal. Le 22 janvier 1944, par exemple, Anne relit son entrée du 2 novembre 1942 et y écrit ce qui suit :

Je ne serais plus capable d’écrire ce genre de choses. Tout le temps que j’ai été ici, j’ai désiré inconsciemment – et parfois consciemment – la confiance, l’amour et l’affection physique. Ce désir peut changer d’intensité, mais il est toujours là.

Le journal dans sa deuxième version est devenu plus élevé, avec des passages sur le féminisme, l’identité juive, et la question obsédante de savoir qui pourrait venir lire le livre. Sa dernière entrée, le 1er août 1944, reflète les divisions intérieures d’Anne. « Je suis partagée en deux », dit-elle au lecteur :

Un côté contient ma gaieté exubérante, ma désinvolture, ma joie de vivre et, surtout, ma capacité à apprécier le côté léger des choses. Cette facette de moi est généralement à l’affût pour tendre une embuscade à l’autre, qui est beaucoup plus pure, plus profonde et plus fine. Personne ne connaît le meilleur côté d’Anne.

Trois jours plus tard, une escouade de policiers allemands fait irruption dans l’annexe et arrête ses occupants. Après un mois dans le camp de transit néerlandais de Westerbork, le groupe est mis dans le tout dernier transport vers Auschwitz. En mai 1945, tous les membres du groupe, à l’exception du père d’Anne, Otto Frank, étaient morts.

Anne Frank : The Collected Works est une édition magistrale. Elle donne le Journal en trois versions différentes. La version A est celle qu’Anne a réellement écrite les jours mêmes : un texte désordonné, avec certaines entrées hors de l’ordre des dates, plein de digressions comiques. Typique est la liste suivante de la beauté d’Anne elle-même:

1. yeux bleus, cheveux noirs : (non.)
2. fossettes aux joues (oui.)
3. fossette au menton (oui.)
4. pic de veuve (non.)
5. peau blanche (oui.)
6. dents droites (non.)
7. petite bouche (non.)
8. cils recourbés (non.)
9. nez droit (oui.)
10. beaux vêtements (parfois.)
11. beaux ongles (parfois.)
12. intelligent (parfois.)

La version A s’étalait en fait sur quatre volumes, dont seul le premier était un cadeau d’anniversaire. Il manque un volume dans cette séquence, qui aurait couvert la période du 2 mai 1943 au 22 décembre 1943.

La version B est la propre révision d’Anne, largement écrite sur des feuilles volantes de papier carbone. Elle s’étend sans interruption du 20 juin 1942 à mars 1944 et nous donne ainsi le récit qui a été perdu par le volume manquant de la version A. Elle est plus sérieuse que la précédente, avec une chronologie minutieuse retraçant la progression de la guerre.

La version connue aujourd’hui sous le nom de C est celle publiée par le père d’Anne en 1947 sous le titre The Hidden Annex. Cette version réduit le contenu sexuel du journal et supprime également une grande partie des critiques qu’Anne avait formulées à l’égard de ses compagnons de cachette. Otto a également procédé à quelques modifications esthétiques. Il a mélangé et réorganisé les versions A et B pour donner au livre un caractère plus cohérent et littéraire. Dans sa version, après un bref prologue ( » J’espère que je pourrai tout te confier… « ), le livre s’ouvre sur le journal lui-même :

Je vais commencer par le moment où je t’ai eu, le moment où je t’ai vu posé sur la table parmi mes autres cadeaux d’anniversaire. (J’ai assisté à ton achat, mais cela ne compte pas.)

Cette fameuse ouverture n’était là ni dans A (qui commence par « Magnifique photographie n’est-ce pas !!!!… ») ni dans B, qui commence de façon plus consciente de soi :

C’est une drôle d’idée pour quelqu’un comme moi, de tenir un journal intime ; non seulement parce que je ne l’ai jamais fait auparavant, mais parce qu’il me semble que ni moi – ni d’ailleurs personne d’autre – ne sera intéressé par les débordements d’une écolière de treize ans.

Anne a bien écrit les fameuses phrases qui constituent aujourd’hui l’ouverture, mais elles sont apparues plus loin dans la version A et ont été exclues de la version B.

Otto Frank a donc joué un rôle dans la création du journal d’Anne Frank tel que les lecteurs le connaissent aujourd’hui, et l’une des vertus de The Collected Works est de permettre aux lecteurs de suivre l’évolution du journal à travers ses différentes incarnations. La collection contient cependant bien plus que le journal. On y trouve des illustrations magnifiques et émouvantes, notamment des photos de famille, des gros plans de documents, des fac-similés de pages et un plan de l’annexe cachée. On y trouve également les divers autres écrits d’Anne : 14 nouvelles, son roman inachevé, un ensemble d’essais et de souvenirs, des lettres inédites, ses vers dans des livres d’amitié, son « carnet de citations préférées » et « le livre d’Égypte » (un recueil de notes sur le pays des pharaons qu’Anne a réalisé comme une sorte de projet d’école à la maison pendant qu’elle se cachait). Enfin, les éditeurs fournissent de nombreux éléments contextuels, de l’histoire de la famille d’Anne (qui commence au Moyen Âge) à l’histoire de l’impression et de la réception du journal (qui se termine sur le roman Exit Ghost de Philip Roth, paru en 2007).

Les Œuvres complètes donnent ainsi une image considérablement enrichie et, en lisant ses pages, on ne peut s’empêcher de penser à ce qu’Anne aurait pu devenir. Dans le journal intime, elle écrit vouloir être journaliste : « J’aimerais passer un an à Paris et à Londres pour apprendre les langues et étudier l’histoire de l’art. J’ai encore des visions de robes magnifiques et de gens fascinants. » En parcourant ce volume, en lisant ses croquis pleins d’esprit, il est facile de voir comment elle aurait pu réaliser ces deux choses.

Par contre, cette vision de l’Anne adulte est peut-être trompeuse. Ses journaux intimes offrent l’image d’une jeune fille figée dans le temps. Qui sait comment elle aurait été affectée par le traumatisme, si elle avait survécu ? L’année prochaine, Albert fêtera son 90e anniversaire – l’âge qu’Anne aurait atteint en juin prochain. En tant que survivants, lui et Lien de Jong (qui a fêté ses 85 ans l’année dernière) ont eu toute une vie pour revenir sur les horreurs des années 1940.

Anne Frank avec son père et sa sœur en 1931. Photographie : United Archives GmbH/Alamy

Albert ne se souvient pas seulement d’Anne mais de tous leurs camarades de classe. L’un d’entre eux est Leo Slager, le garçon qu’Anne cite dans son journal immédiatement après Albert comme quelqu’un qui « vient de la même école, mais qui n’est pas aussi intelligent ». Albert et Leo partageaient un banc d’école et allaient toujours ensemble au lycée en vélo (du moins jusqu’à ce que la possession de bicyclettes par les Juifs devienne un délit). Une fois, alors qu’ils pédalaient côte à côte, Albert se souvient que Leo a soudainement freiné et a refusé d’aller plus loin. Albert avait utilisé un mot allemand. « Leo ne supportait pas l’allemand », me dit-il, avant d’ajouter tristement : « il n’a pas survécu à la guerre ».

Pour Albert, il y avait au moins le réconfort de survivre avec sa famille, ce qui signifiait qu’il y avait toujours des souvenirs à partager. Lien, en tant que seul survivant, n’avait personne sur qui s’appuyer, donc les histoires de son enfance se sont estompées. C’est l’une des choses qui m’a frappée lorsque je l’ai interviewée. Le genre de détails qui remplissent le journal d’Anne Frank (son amour des vêtements ou les disputes familiales acharnées sur la question de savoir s’il fallait éplucher les pommes de terre pour les garçons comme pour les filles) était presque entièrement absent. En travaillant ensemble, nous avons dû reconstruire ses souvenirs à partir de minuscules bribes, étape par étape pour leur redonner vie.

En tant qu’œuvre littéraire, le journal d’Anne Frank en est venu à définir l’expérience néerlandaise de l’occupation, mais sa perspective sur cette période en tant qu’enfant cachée est nécessairement restreinte. Anne, née en Allemagne, s’est installée à Amsterdam avec sa famille à l’âge de quatre ans pour échapper aux persécutions, et elle voit dans les Hollandais de braves protecteurs. Pourtant, le taux de mortalité des Juifs néerlandais (plus de 75 %, soit le double de celui de n’importe quel autre pays occidental) est le reflet d’une nation profondément collaborative, où la plupart des officiers chargés des arrestations étaient des autochtones et non des Allemands. Pour ceux qui savent cela, une entrée tardive dans le journal est touchée par l’ironie:

Maintenant que j’ai été épargné, mon premier souhait après la guerre est de devenir un citoyen néerlandais. J’aime les Hollandais. J’aime ce pays. J’aime la langue, et je veux travailler ici. Et même si je dois écrire à la reine elle-même, je n’abandonnerai pas avant d’avoir atteint mon but !

Anne n’avait pas été « épargnée » comme elle l’avait imaginé. Moins d’un an après avoir écrit ces mots, elle et sa sœur sont mortes du typhus à Bergen-Belsen. Leur pays d’adoption, malgré toute la bravoure de leurs protecteurs, n’avait pas été à la hauteur de leur confiance.

– The Cut Out Girl (Penguin) de Bart van Es a remporté le prix Costa du livre de l’année 2018. Anne Frank : The Collected Works est publié par Bloomsbury. Pour commander un exemplaire, rendez-vous sur guardianbookshop.com ou appelez le 0330 333 6846. P&p gratuit au Royaume-Uni à partir de 15 £, commandes en ligne uniquement. Commandes par téléphone min p&p de 1,99 £.

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